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Regain des tensions au nord du Kosovo

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En mai 2023, le Kosovo valide l’élection de maires albanais dans quatre villes à majorité serbe du nord du pays, en dépit d’une participation électorale inférieure à 4 %. Cette décision entraîne une vive résistance parmi les Serbes du Kosovo et les manifestations dégénèrent. On dénombre 30 blessés parmi les soldats de la mission de maintien de la paix de l’OTAN, ainsi qu’une cinquantaine chez les manifestants serbes. Ce nouvel épisode de violence illustre la fragilité politique du Kosovo.

L’épineuse question de l’héritage du Kosovo

Une église orthodoxe dans la ville de Prizen
Une église orthodoxe dans la ville de Prizen, illustrant la présence serbe passée

Les Serbes et les Albanais revendiquent chacun l’héritage du Kosovo. Les Albanais estiment être les descendants des Illyriens, installés dans la région dès le 3ème siècle avant notre ère. Ils se présentent ainsi comme étant le peuple autochtone du Kosovo. Les Serbes, quant à eux, considèrent le Kosovo comme le « berceau historique » de leur civilisation. En effet, il est le cœur du Royaume médiéval serbe de la dynastie des Némanides, dont l’apogée est atteinte au 14ème siècle. Quelques monastères orthodoxes au Kosovo témoignent de cette grandeur serbe d’antan.

Après la Première Guerre mondiale, le Kosovo est intégré au Royaume de Yougoslavie. Le pouvoir central y organise une migration des Serbes. En 1941, l’Axe envahit le Kosovo et instaure des réformes défavorables aux Serbes, entraînant l’exode de plus de 100 000 d’entre eux. S’ensuit une guerre civile jusqu’à la victoire des résistants communistes menés par Tito. Les Serbes échouent cependant à renverser l’équilibre démographique du Kosovo. En 1971, 74 % de la population kosovare est albanaise. En 1989, le nationaliste serbe Milosevic arrive au pouvoir et intensifie considérablement la répression contre les Albanais du Kosovo. Belgrade réprime toute contestation dans la violence.

Une indépendance fragile héritée de la guerre

L’intensification de la répression organisée par le pouvoir de Belgrade sur le Kosovo aboutit à un conflit ouvert entre 1998 et 1999. La Serbie sort alors de deux guerres meurtrières en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Après l’échec des pourparlers de paix, l’OTAN décide d’intervenir, sans mandat de l’ONU, afin de faire plier Belgrade. Les incessants bombardements de l’organisation transatlantique s’étalent sur 78 jours. L’ONG Human Rights Watch recense près de 500 victimes civiles. Le conflit au Kosovo fait plus de 13 000 morts et des millions de déplacés.

Après la guerre, le Kosovo est placé sous protection de l’ONU et de l’OTAN à travers la KFOR, toujours en place actuellement. De fortes tensions persistent alors entre les communautés serbe et albanaise. En 2004, plus de 50 000 Albanais participent à des manifestations anti-serbes à travers le pays, entraînant la mort de 19 personnes et causant plus de 900 blessés. De plus, on observe le pillage et la destruction de plus de 800 bâtiments, dont 29 églises et monastères orthodoxes. Le rapport de l’OSCE pointe également du doigt la clémence du système judiciaire kosovar envers les responsables de ces violences, notamment du fait du recours récurrent et injustifié à des circonstances atténuantes.

Le Kosovo déclare finalement son indépendance unilatéralement en 2008, soutenu par la majorité des puissances occidentales. A l’heure actuelle, 99 pays le reconnaissent. La Serbie, la Russie, la Chine mais également cinq pays membres de l’Union européenne (Espagne, Slovaquie, Chypre, Roumanie, Grèce) s’y opposent.

Le processus tortueux de normalisation entre la Serbie et le Kosovo

Des Serbes protestent en bloquant les routes au Nord du Kosovo
Des Serbes protestent en bloquant les routes au nord du Kosovo en 2011

Depuis 2008, l’Union européenne se mobilise afin de normaliser les relations entre la Serbie et le Kosovo. Les efforts déployés par Bruxelles permettent d’aboutir à un premier accord historique entre Belgrade et Pristina en 2013. Chaque pays s’engage alors à ne pas freiner l’autre dans le processus d’intégration européenne. De plus, il est également prévu que Pristina confère une large autonomie à une association de quatre municipalités à forte majorité serbe situées dans le nord du pays.

Cependant, une décennie après la signature de l’accord, ces dispositions ne sont toujours pas respectées. De nombreuses tentatives de poursuite du processus de normalisation ont lieu, sans succès. Belgrade se refuse à reconnaître l’indépendance du Kosovo et bloque son intégration aux organisations internationales. Pristina accentue la pression sur la minorité serbe, notamment depuis la nomination d’Albin Kurti au poste de Premier ministre : entrave pour participer aux élections en Serbie, non-reconnaissance des plaques d’immatriculation serbes, expropriation, pression policière, etc. Ces provocations poussent des centaines de fonctionnaires serbes à se retirer des institutions kosovares en novembre 2022, dont certains maires. Les Serbes boycottent les élections anticipées qui suivent, amenant au pouvoir des maires albanais élus sans aucune légitimité démocratique. Leur intronisation est à l’origine des affrontements dans les villes à majorité serbe. La Serbie réagit à ces violences en mobilisant son armée à la frontière du Kosovo.

Les Occidentaux, alliés traditionnels du Kosovo, dénoncent la responsabilité de Pristina dans le déclenchement de la crise. Le 6 juin, les autorités kosovares se résolvent à organiser un nouveau scrutin local. Cependant, par manque de réelle volonté politique et d’engagements concrets de part et d’autre, la perspective de normalisation et de pacification des relations entre la Serbie et le Kosovo demeure lointaine.

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Yann MARCILLON

est diplômé de l'IRIS Sup' du parcours "Géopolitique et prospective" ainsi que de Grenoble Ecole de Management

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